Serait-ce, comme mille ans auparavant, la peur du millénaire
qui amena un certain Alan
Stivell à renouer, en 1993, avec le succès sur
l’album Again ? En cette année d’incertitudes
politiques, ce succès allait provoquer un électrochoc dans
l’ouest et en France. En l’espace de deux
ans, par moins de quatre formations tinrent le haut du pavé
et s’imposèrent sur la scène européenne et internationale.
Outre Stivell,
la naissance de l’Héritage
des Celtes de Dan
ar Braz propulsa cette musique
au firmament commercial. Le duo
Kemener – Squiban fusionna dans une parfaite
harmonie le jazz et la musique bretonne
traditionnelle et l’arrivée de Denez
Prigent et de ses expériences électroniques
sonna également la charge de la fusion.
Le premier revival s’était essentiellement
reposé sur la vague baba cool, se contentant
d’un folk de moins en moins maîtrisé, au
fur et à mesure de l’accroissement du nombre des formations
musicales. Le second, quant à lui, eut la bonne idée de faire
sortir la musique bretonne de son ghetto,
de la marier à de nombreuses expériences (jazz
avec Squiban,
Roland
Becker, Jacques
Pellen ou les Niou
Bardophones, métissées avec
Carré
Manchot, les Trompettes du Mozambique,
Mugar
ou Thalweg,
classique
avec Marthe
Vassallo, Kemener
Ripoche et Tri
Yann & ONPL…)
et de la propager à travers un réseau en
construction, celui des musiques du monde.
C’est ce second revival, que nous connaissons aujourd’hui et
qui pour une fois, a su passer la barre de sa première décennie, en produisant
à chaque instant de nouvelles expériences, en se digérant et en se réinventant
en permanence.
De l’acquis renaît désormais son avenir et de sa capacité à se repenser tient
sa longévité. La musique bretonne a souffert, un temps, du
complexe breton (je vous invite à lire Morvan Lebesgue
pour en comprendre le sens profond), né de l’infériorité supposé de ce peuple,
dû au fait qu’il ne fut pas touché par la première industrialisation, que sa
langue et ses coutumes différaient et qu’à
la veille de la reconstruction il semblait toujours aussi arriéré. C’est cette
chance d’avoir été épargnée par les investissements industriels du XIX° siècle,
qui a permis à la Bretagne de prendre son élan et de prolonger
jusqu’au milieu du XX° siècle la transmission orale, n’ayant ni friches, ni
bassins industriels moribonds à digérer. Ce faisant, les artistes
et sympathisants bretons, qui représentent la société dont
ils sont le miroir, suivant la même évolution, ne seront eux parvenu qu’avec
le second revival, à pérenniser la diffusion de leur patrimoine
et à conserver, en éveil, l’intérêt constant du public.
Jeremie Pierre JOUAN