Ce n'est qu'au lendemain de la seconde guerre mondiale et
de la désaffection totale de la Bretagne
pour sa culture, que la nécessité du collectage
se fit sentir avec force. Mais ce n'est qu'au début des années
soixante-dix, avec le renouveau breton que
ce collectage repris toute sa puissance et
son sens. En effet, durant cette décennie, de nombreuses voix
s'éteignirent, emportant avec elles un patrimoine
non transmis. Et cette jeune génération d'artistes bretons
devenait la première non bretonnante, la
première à n'avoir reçu en héritage ni la
langue, ni la culture. Les
nouveaux collecteurs eurent la bonne idée
de recueillir ces chants avant qu'ils ne
disparaissent à jamais. Et cette fois-ci, contrairement aux
collecteurs des siècles passés, c'est avec
une certaine honnêteté que ces derniers retranscrirent ce
patrimoine unique et ancestrale.
La création en 1972 de l'association Dastum a été le moteur
de cette redécouverte. Avec plus de 43.000 archives
sonores, l'association, aujourd'hui, se pose en mémoire
vivante de la Bretagne et permet
aux jeunes générations de s'approprier l'univers des anciens.
Mais le collectage de la fin du XX° siècle,
initié entre autre par Yann-Fanch
Kemener, Erik
Marchand et tant d'autres, eut un but différent
du précédent. Nul romantisme ne vint la dénaturer,
au contraire, cet engouement pour la transmission
devait être immédiatement réapproprié et consumé. La collecte
permettait l'ouverture du répertoire et offrait
au collecteur (et chanteur)
une nouvelle tribune artistique.
D'un autre côté, ce travail de collectage, aussi utile et merveilleux
fut-il, ne pouvait cacher l'originalité de
la musique bretonne, dont l'imaginaire a su
se passer des collecteurs. Fidèle à sa tradition,
les thèmes bretons qui ont survécu ne représentaient
qu'une infime partie de l'ensemble. De tout temps, et surtout
depuis l'avènement de l'imprimerie, les chansons
se colportaient autant oralement que sur feuilles volantes
vendues lors des foires.
Et, afin que cette culture corresponde aux attentes de ses contemporains,
bons nombres de thèmes subirent de profonds changements, tant
pour leur sens que dans leur mélodie, d'autres
furent abandonnés et enfin de nombreux thèmes remplacèrent définitivement
d'autres jugés vieillots. S'agissait-il de pertes ou de gains
? Il est à déplorer la disparition de certaines chansons,
sur un plan culturel et historique,
mais l'essence même de l'oralité est de s'adapter en permanence
à ses contemporains ou de disparaître.
La révolution industrielle de la seconde moitié du XX° siècle
bouleversa tant nos sociétés, qu'elle mit un terme à l'oralité
populaire. Aujourd'hui, la création devient d'elle-même
archive, le patrimoine se réinvente chaque
jour, sur ces ruines qui sont parvenues jusqu'à nous. Et c'est
en ce sens que de nombreux artistes, tel Denez
Prigent ou Yann-Fanch
Kemener produisent et inventent de nouvelles
gwerzioù,
de nouveaux thèmes, afin tout simplement de poursuivre ce
travail populaire et fondateur de l'identité culturelle bretonne.
Les dépositaires de cette richesse du patrimoine breton,
qui étaient l'avenir de la musique bretonne,
ont désormais disparu, emportant avec eux leur savoir
ancestral.
Jeremie Pierre JOUAN